Les difficultés du programme F-35 sont-elles résolues?
Le programme F-35, destiné au départ à fournir aux différentes forces aériennes des États-Unis d’Amérique un avion de combat de nouvelle génération, a fait face à de nombreuses difficultés depuis le démarrage de son développement en 1996.
Défini par le Pentagone (Department of Defense, DoD), l’objectif de ce programme est de moderniser une grande partie de la flotte d’appareils des différentes forces aériennes (US Air Force, US Navy et l’US Marine Corps) en mutualisant les coûts de recherche, de développement et d’industrialisation, tout en possédant un avion commercialisable à l’international.
Le programme Joint Strike Fighter (JSF, devenu F-35), démarré en 1993, avait pour but explicite de remplacer pas moins de cinq avions différents des forces aériennes US, les F-16 et F-117 de l’US Air Force, les A-6 et F/A-18 de l’US Navy et le AV-8B Harrier II de l’US Marine Corps. Pour les phases de sélection du meilleur appareil et donc du constructeur, Lockheed Martin et Boeing ont construit deux prototypes, respectivement le X-35 et le X-32. En octobre 2001, Lockheed Martin est retenu et le développement du F-35 est lancé.
Le F-35 a été très controversé au niveau national à cause des enjeux économiques et sociaux qu’il entraînait, mais aussi d’un point de vue international car certains pays partenaires et co-financeurs ont été accusés par leurs opinions publiques d’avoir investi dans un programme comportant des lacunes importantes et au budget non maîtrisé avec des défaillances flagrantes.
I- Contexte Historique
Mis à part le récent et très coûteux F-22 de l’US Air Force qui assure les missions de supériorité aérienne, de très nombreux appareils en service dans les différentes forces aériennes américaines approchent de leur fin de vie ou deviennent obsolètes, face à leurs adversaires potentiels étrangers. C’est à cette condition que le F-35 doit pouvoir remplacer plusieurs appareils. Il devra être moderne, décrit comme un avion de cinquième génération, mieux équipé que ses prédécesseurs et rivaux avec une furtivité accrue et un équipement embarqué de pointe, qui sont aujourd’hui indispensables pour un avion dont la vie opérationnelle doit couvrir une grande partie du XXIe siècle.
La liste des différents constructeurs d’avions militaires américains a évolué avec l’obtention de différents contrats. Le développement et la construction de différents programmes ont amené à la fusion et la disparition de certains constructeurs. Nous pouvons ainsi parler, en quelque sorte, de sélection naturelle de constructeurs. En effet le nombre de ces derniers s’est réduit au cours du temps suite à des fusions et rachats entre constructeurs.
Les premières études du F-35 démarrent dans les années 1993-94 avec le groupe de travail Joint Strike Fighter et un cahier des charges est établi en mars 1996. Dès novembre de la même année, les constructeurs Boeing et Lockheed Martin répondent à l’appel d’offres et débutent la phase de conception et démonstration (Concept Demonstration Phase) avec, tous deux, un budget de 750 millions de dollars alloué par le DoD. Lockheed Martin remporte finalement le contrat pour le programme le 26 octobre 2001 avec son prototype X-35 contre le X-32 de Boeing.
II- Un cahier des charges sous influences contradictoires
En cherchant à diminuer les coûts, le DoD décide de regrouper les besoins de chacune des trois forces aériennes en un seul programme pour mutualiser la recherche, le développement et l’industrialisation.
Le F-35 est un avion qui devait succéder au :
– F-16 et F-117 pour l’US Air Force
– A-6 et une partie des F-18 pour l’US Navy
– AV-8B Harrier 2 pour l’US Marine Corps
Le F-35 devait impérativement être un avion multirôle (multirole combat aircraft) capable de réaliser plusieurs missions différentes sur les besoins des trois différentes forces aériennes. L’avion devait pouvoir être furtif et posséder un radar multifonction et multicible air-air et air-sol à balayage électronique. Cette exigence était commune aux trois corps d’armées.
Pour qu’il puisse succéder au F-16, l’US Air Force exigeait une bonne manœuvrabilité pour le combat aérien, un coût unitaire peu élevé pour remplacer les milliers de F-16 en service et qu’il soit supersonique en croisière. Pour effectuer des missions d’attaques au sol comme celles du F-117 ou du A-6, la condition exigée était une capacité de bombardement qui ne nuise pas à la furtivité, d’où la nécessité d’une soute à armement, qui permet l’emport de bombes et de missiles sans dégrader la signature radar.
Pour que le F-35 puisse succéder au A-6 et au F/A-18, l’US Navy demandait un avion catapultable et biréacteur pour améliorer la sécurité et la fiabilité, primordiales en opérations océaniques.
L’US Marine Corps, qui ne dispose pas de porte-avions, exigeait un avion pouvant décoller et atterrir à la verticale depuis ses porte-hélicoptères d’assaut, pour qu’il puisse ainsi succéder au AV-8B Harrier II.
Toutes ces contraintes exigées par les différentes forces aériennes ont posé de grandes difficultés aux ingénieurs de Lockheed. En effet nous pouvons en recenser quelques-unes :
– Une motorisation importante pour un monoréacteur qui demande un moteur coûteux et moins fiable qui augmente le poids de l’appareil.
– Les besoins dans l’aéronaval demandent un renforcement de la cellule et du train de l’avion pour résister au catapultage et à l’appontage.
– La furtivité, étant une caractéristique primordiale, exige que tous les armements et bombes puissent être stockés en soute. Cela entraîne donc un élargissement de la cellule qui détériore l’aérodynamique et augmente le poids de l’appareil.
– Le décollage et atterrissage à la verticale exigent un moteur avec deux centres de poussée.
Les ingénieurs ont vite compris qu’un modèle unique d’appareil était intenable, et ont décidé de séparer le programme en trois versions, pour qu’il puisse prendre en compte séparément les contraintes exigées et satisfaire les forces aériennes pour chacun des appareils à remplacer. Ces trois versions sont les suivantes :
– Le F-35A est la version la plus polyvalente des trois. Elle est destinée à l’US Air Force et est prévue d’être exportée à des nations alliées.
– Le F-35B est la version censée pouvoir décoller et atterrir à la verticale. Cependant à la suite des différents essais le décollage à la verticale ne sera pas opérationnel sous toutes les configurations et cette version restera seulement à décollage court et à atterrissage vertical (STOVL). Elle est destinée à l’US Marine Corps pour être embarquée sur porte-hélicoptères et est également offerte à l’exportation à des nations alliées.
– Le F-35C est la version CATOBAR (Catapult Assisted Take-Off But (ou Barrier) Arrested Recovery) pour le catapultage et l’appontage. Elle a une structure plus renforcée et une envergure plus importante qui lui permet d’augmenter sa capacité en carburant. Elle est destinée à l’US Navy et est la seule version non offerte à l’export.
De gauche à droite: F-35C , F-35B, F35A
III- Les difficultés rencontrées
Une des premières difficultés rencontrées est que le F-35 ne satisfaisait pas les pilotes car il ne répondait pas à la demande de départ qui était que cet avion militaire devait remplacer chacun des anciens appareils utilisés par les différentes forces aériennes américaines. Pour répondre à cette problématique il devait respecter le cahier des charges des anciennes versions mais aussi répondre à de nouvelles problématiques.
En 2015, un pilote anonyme de F-35 a dressé un compte-rendu pénalisant au site “War is Boring” après un exercice de combat rapproché contre un F-16 en Californie en janvier de la même année. Selon lui, lorsque les deux avions se sont livrés à une série de manœuvres brutales pour tenter d’abattre au canon leur adversaire, le F-35 a manqué “d’énergie” et n’a pas réussi à faire les manœuvres que le F-16 était capable de réaliser. Finalement, le F-35 a perdu face au F-16. Un compte-rendu accablant qui a affaibli de nouveau ce programme. Mais en juillet 2015, l’US Air Force a démenti les propos du pilote et a déclaré que le F-35 surclasse bien au combat le F-16. Selon elle, “il y a eu de nombreuses occasions où des groupes de F-35 ont engagé des groupes de F-16 en simulation de combat, et les F-35 ont gagné chacune de ces rencontres, grâce à leurs capteurs, leurs armements et leur technologie furtive ».
On retrouve donc des témoignages divergents avec des pilotes insatisfaits de cet avion face à une US Air Force qui a toujours démenti ces informations et a affirmé que le F-35 avait les capacités de battre des anciennes versions grâce aux nouvelles technologies qu’il utilise. Malgré le démenti de l’US Air Force, ce n’est pas le seul témoignage de pilote qui met en défaut les capacités du F-35. Tous ces témoignages participent ainsi à un certain dénigrement de ce programme et s’ajoutent à la méfiance générale des autres nations voulant acheter cet avion.
La seconde difficulté rencontrée est aussi celle qui a été le plus longtemps décriée, il s’agit du dépassement de budget mais aussi du dépassement de délai. En effet, le programme F-35 est le programme d’armement le plus cher de l’histoire militaire américaine. Le coût total estimé, à l’heure actuelle, est de près de 400 milliards de dollars pour le Pentagone. L’objectif, dans les années à venir, est de produire près de 2500 appareils. Le programme devrait donc durer jusqu’en 2070 et le coût total serait donc de 1500 milliards de dollars sur toute la durée de vie du programme (entretien compris). Ce programme aura donc eu un coût exorbitant sachant qu’en octobre 2001, au lancement du programme, le coût unitaire du F-35A était estimé à 69 millions de dollars alors qu’à son lancement il a augmenté de 89% et a atteint 130,6 millions de dollars par avion.
De plus, comme la construction du F-35 a pris du retard à cause des différentes défaillances rencontrées, les délais de livraison ont dû fortement augmenter. Ce délai et cette hausse de prix du F-35 ont participé à la réduction des quantités commandées mais aussi à une difficulté de vendre cet avion à l’international car il était devenu trop cher.
Malheureusement, le programme étant sous pression au niveau des coûts, le constructeur a fait le choix de matériaux et de composants qui étaient soit mal testés soit à faible longévité. Pour illustrer cette exécution de mauvaise qualité ; en 2020, dans son rapport annuel, le Pentagone a fait part de 871 défaillances logicielles et matérielles qui pourraient être “dommageables à la disponibilité, aux missions ou à la maintenance” sur le F-35. Parmi elles, 10 défaillances seraient de catégorie 1, c’est-à-dire susceptibles de mettre en danger l’appareil ou son pilote, ou l’empêcher de réaliser sa mission.
Tous ces défauts ont bien évidemment participé à une diminution de la longévité de cet avion, en effet, la durée de vie est passée à 2100 heures au lieu de 8000 heures pour les anciens avions de combat de l’armée américaine.
L’industrialisation fut elle aussi complexe. Produire trois versions sur une même chaîne de fabrication est une gageure compte tenu des différences dans les composants et les techniques d’assemblage et de fabrication. Mais nous ne pouvons nier que ces défaillances participent au retard de ce programme et à l’augmentation de son prix pour le contribuable américain.
IV- Le Departement of Defense garde le cap
Malgré tous les manquements que nous avons listés précédemment, les responsables du programme prennent en compte ces problèmes et les résolvent progressivement. Chaque année, un rapport public du Pentagone fait l’inventaire des problèmes restants. En 2018, nous retrouvions 102 problèmes de catégorie 1 alors qu’en 2020 il en restait plus que dix. Une amélioration qui montre bien l’importance de ce programme et la volonté de réussir ce programme du DoD.
En 2019, cent trente-cinq F-35 ont été livrés à l’international et plus de six cents avions ont été livrés depuis le début du programme. Preuve de la puissance militaire et industrielle des États-Unis, nous retrouvons des ventes du F-35 au Royaume-Uni, au Japon, au Pays-Bas, en Australie, en Norvège, au Danemark et au Canada. Cette hausse des ventes est notamment due à une baisse des prix de l’avion. Depuis le treizième lot de production, le F-35A affiche un prix unitaire de 80 millions de dollars, une réduction significative du prix depuis son lancement. Quant à lui, le F-35B affiche un prix aujourd’hui de 101 millions de dollars et le F-35C un prix de 95 millions de dollars.
Le programme F-35 est aussi financé et soutenu par plusieurs pays. En effet, plusieurs pays participent au programme du Joint Strike Fighter, selon trois niveaux de coopération variant en fonction des investissements et des transferts de technologie concédés. Le Royaume-Uni est seul partenaire de premier niveau grâce à la société britannique BAE Systems qui a participé à la conception et à la fabrication du fuselage arrière et de l’électronique de bord. L’Italie et les Pays-Bas sont partenaires de deuxième niveau avec l’entreprise Alenia Aeronautica en Italie qui fournira à terme, la moitié des voilures destinées à l’ensemble de la production. Les partenaires de troisième niveau investissent quant à eux dans le programme. On y retrouve la Turquie, l’Australie, la Norvège, le Danemark et le Canada.
Le F-35, un projet lancé Outre-Atlantique, est tout de même bien présent en Europe, grâce à ses partenaires qui sont pour la plupart Européens. Le F-35, comme beaucoup de matériel américain, tend à être le futur avion de combat produit en grande série avec déjà 2500 achats par les différentes armées américaines et plus de 700 ventes dans 11 pays. Le F-35A suivra certainement le chemin d’un de ses prédécesseurs, le F-16, qui a été exporté à 4500 exemplaires dans 25 pays. Le F-35B, plus spécifique grâce à son système STVOL, intéresse plusieurs pays qui veulent disposer d’une force aéronavale sans avoir à entretenir de coûteux porte-avions. Face à une production en si grande série, très peu d’entreprises peuvent rivaliser. Par exemple Dassault qui a livré 148 rafales aux armées françaises et enregistré 84 commandes à l’export, pourra difficilement affronter le géant américain au niveau de la production industrielle.
V- Conclusion
À la fin des années 90, les différentes armées américaines expriment le besoin d’un nouvel aéronef de combat, et le Pentagone crée le JSF et lance une mise en compétition des derniers constructeurs restants donnant naissance au F-35. Malgré un cahier des charges complet mais insurmontable pour les ingénieurs, le F-35 a bien été développé et des solutions ont été trouvées. Malheureusement, face à un cahier des charges si complexe, de nombreuses défaillances ont vu le jour sur cet avion entraînant une augmentation significative du prix mais aussi du délai de livraison.
Si la mobilisation du Pentagone pour sauver le programme a permis de détecter de nombreux défauts du F-35 et de les résoudre, il reste encore aujourd’hui de nombreuses difficultés qui ne sont toujours pas résolues. Mais ces difficultés n’ont pas mis en péril le programme car il a été si coûteux et si ambitieux que personne ne pouvait se permettre de l’arrêter compte tenu des enjeux économiques et politiques, tels que les constructeurs, les emplois, l’argent public…. Le F-35 était pour ainsi dire : “Too big to fail”.
Même si le succès est finalement acquis, les constructeurs, qu’ils soient américains ou bien de toute autre nation, doivent tirer parti des erreurs de ce programme. Nous pouvons prendre comme exemple les constructeurs européens qui doivent être particulièrement vigilants sur les programmes multinationaux très ambitieux et très complexes, alors que les états qui les financent sont moins nombreux et n’ont pas des budgets aussi larges que le DoD.
POUR ALLER PLUS LOIN :
L'article vous a intéressé? Venez visiter notre page dédiée aux articles pour en découvrir plus.
1 commentaire
Condamné à réussir ? Mais s’il se montre tellement mauvais qu’il en devient inutilisable, périmé vivant ?